Les Robinsons noirs
Un îlot perdu au milieu de l'océan Indien dont le voisin le plus proche est Madagascar, à 500 km de là... Au XVIIIe siècle, un navire s'y échoue et les survivants vont jouer les Robinson pendant quinze ans ! L'archéologie vient compléter les morceaux d'une histoire extraordinaire car ces survivants étaient des esclaves malgaches embarqués illégalement par un équipage français. Pour la première fois, l'épave et les restes du campement ont été fouillés par une équipe qui revient de l'île.
bLe 17 novembre 1760, l'Utile, navire de la compagnie française des Indes, est armé à Bayonne. Il se rend à Madagascar pour y chercher des provisions, riz, boeuf, etc. Il lui est interdit de ramener des esclaves mais le commandant passe outre et charge entre 100 et 200 esclaves. L'Utile n'arrivera jamais à destination, l'île de France (aujourd'hui île Maurice). Il s'échoue sur l'île de Tromelin, jadis connue sous le nom d'île de Sable, et à l'époque mal positionnée sur les cartes : 1 500 mètres de long sur 700 mètres de large; pas de végétation car elle se trouve sur le chemin des cyclones et les arbres n'y résistent pas.
Rescapés. Sur cet îlot, se retrouvent 122 membres d'équipage français et 88 Malgaches. Marc Guérout, leader de l'expédition, a retrouvé aux archives de Lorient les notes de l'écrivain de bord avec deux cartes de l'île. Il mentionne que beaucoup d'esclaves n'ont pu sortir du bateau et sont morts durant le naufrage «parce que les panneaux étaient cloutés». Il raconte également que les rescapés ont trouvé de l'eau au bout de trois jours, ce qui leur a permis de survivre. Au bout de deux mois, les marins Français, qui ont construit un bateau de fortune, reprennent la mer en laissant sur place les esclaves à qui ils promettent de revenir avec des secours. Ils arrivent sur l'île de France mais le gouverneur refuse d'organiser le sauvetage. L'écrivain Bernardin de Saint-Pierre qui se trouvait là s'élève contre cette décision, d'autres voix le rejoignent, en vain. Les esclaves sont oubliés.
Pourtant durant quinze ans, les Malgaches vont survivre sur ce bout de caillou traversé par les vents. Ce n'est qu'en 1776 qu'ils sont repérés. L'îlot est très difficile à atteindre, trois bateaux ne parviennent pas à accoster, le quatrième, celui du chevalier de Tromelin, qui donne son nom à l'île, réussit. Il ramène à l'île de France huit survivants, sept femmes et un bébé de huit mois. Dans le cadre de l'année internationale de commémoration de la lutte contre l'esclavage, sous le patronage de l'Unesco, Max Guérout, ancien officier de marine, créateur d'un groupe de recherche en archéologie navale (Gran) a monté son expédition pour retrouver les traces du séjour des naufragés. L'équipe a travaillé sur l'île du 10 octobre au 9 novembre 2006.
Aujourd'hui, Tromelin, revendiquée par Maurice et Madagascar, est rattaché aux Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Il est habité par une station météo, ses quatre météorologues et des tortues qu'ils comptent tous les matins, ce qui occupe. A l'arrivée des dix membres de l'expédition, l'îlot a frôlé la surpopulation. Particularité, il s'agissait à la fois de fouilles sous-marines et terrestres : 120 plongées «sous déferlante», par petit fond mais dans des conditions difficiles à cause des vents, permettent de repérer les ancres, les canons... La fouille de l'épave n'a cependant pas appris grand-chose de nouveau. Sur terre, les archéologues découvrent en revanche le four utilisé par les naufragés et des vestiges de l'habitat conservés sous 60 à 80 cm de sable. Ils montrent comment ces naufragés ont essayé «avec ordre et méthode de survivre», note Max Guérout. «Des structures de pierre bien construites, en dur à cause des cyclones, ne donnent pas l'impression d'avoir des gens écrasés par le sort. Ils ont utilisé des récipients de cuisine en cuivre récupérés de l'épave et rafistolés huit fois pour certains...» Les femmes rescapées ont raconté qu'elles avaient entretenu le feu durant les quinze ans, et qu'elles s'habillaient de pagnes en plumes d'oiseaux.
Coquillages. Les survivants se nourrissaient de petits oiseaux et de tortues, «il n'existe plus aujourd'hui d'oiseaux d'aussi petite taille, soit ils ont disparu de l'île, soit les Malgaches mangeaient des très jeunes plus faciles à attraper», explique Thomas Romon, archéologue de l'Inrap (1), membre de l'équipe, qui travaille en Guadeloupe habituellement, et connaît la période coloniale. S'y ajoutent quelques coquillages et très peu de poissons car il était trop difficile de pêcher dans cette mer.
L'expédition de l'automne dernier a été un peu frustrante pour les chercheurs qui espéraient trouver les sépultures des esclaves morts durant les quinze années. «Nous y retournerons avec un matériel plus adapté à cette recherche, notamment des petites foreuses, et je pense que nous les trouverons», note Thomas Romon. Une autre expédition est prévue pour 2008.
(1) Institut national de recherches archéologiques préventives.
Par Sylvie BRIET
bLe 17 novembre 1760, l'Utile, navire de la compagnie française des Indes, est armé à Bayonne. Il se rend à Madagascar pour y chercher des provisions, riz, boeuf, etc. Il lui est interdit de ramener des esclaves mais le commandant passe outre et charge entre 100 et 200 esclaves. L'Utile n'arrivera jamais à destination, l'île de France (aujourd'hui île Maurice). Il s'échoue sur l'île de Tromelin, jadis connue sous le nom d'île de Sable, et à l'époque mal positionnée sur les cartes : 1 500 mètres de long sur 700 mètres de large; pas de végétation car elle se trouve sur le chemin des cyclones et les arbres n'y résistent pas.
Rescapés. Sur cet îlot, se retrouvent 122 membres d'équipage français et 88 Malgaches. Marc Guérout, leader de l'expédition, a retrouvé aux archives de Lorient les notes de l'écrivain de bord avec deux cartes de l'île. Il mentionne que beaucoup d'esclaves n'ont pu sortir du bateau et sont morts durant le naufrage «parce que les panneaux étaient cloutés». Il raconte également que les rescapés ont trouvé de l'eau au bout de trois jours, ce qui leur a permis de survivre. Au bout de deux mois, les marins Français, qui ont construit un bateau de fortune, reprennent la mer en laissant sur place les esclaves à qui ils promettent de revenir avec des secours. Ils arrivent sur l'île de France mais le gouverneur refuse d'organiser le sauvetage. L'écrivain Bernardin de Saint-Pierre qui se trouvait là s'élève contre cette décision, d'autres voix le rejoignent, en vain. Les esclaves sont oubliés.
Pourtant durant quinze ans, les Malgaches vont survivre sur ce bout de caillou traversé par les vents. Ce n'est qu'en 1776 qu'ils sont repérés. L'îlot est très difficile à atteindre, trois bateaux ne parviennent pas à accoster, le quatrième, celui du chevalier de Tromelin, qui donne son nom à l'île, réussit. Il ramène à l'île de France huit survivants, sept femmes et un bébé de huit mois. Dans le cadre de l'année internationale de commémoration de la lutte contre l'esclavage, sous le patronage de l'Unesco, Max Guérout, ancien officier de marine, créateur d'un groupe de recherche en archéologie navale (Gran) a monté son expédition pour retrouver les traces du séjour des naufragés. L'équipe a travaillé sur l'île du 10 octobre au 9 novembre 2006.
Aujourd'hui, Tromelin, revendiquée par Maurice et Madagascar, est rattaché aux Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Il est habité par une station météo, ses quatre météorologues et des tortues qu'ils comptent tous les matins, ce qui occupe. A l'arrivée des dix membres de l'expédition, l'îlot a frôlé la surpopulation. Particularité, il s'agissait à la fois de fouilles sous-marines et terrestres : 120 plongées «sous déferlante», par petit fond mais dans des conditions difficiles à cause des vents, permettent de repérer les ancres, les canons... La fouille de l'épave n'a cependant pas appris grand-chose de nouveau. Sur terre, les archéologues découvrent en revanche le four utilisé par les naufragés et des vestiges de l'habitat conservés sous 60 à 80 cm de sable. Ils montrent comment ces naufragés ont essayé «avec ordre et méthode de survivre», note Max Guérout. «Des structures de pierre bien construites, en dur à cause des cyclones, ne donnent pas l'impression d'avoir des gens écrasés par le sort. Ils ont utilisé des récipients de cuisine en cuivre récupérés de l'épave et rafistolés huit fois pour certains...» Les femmes rescapées ont raconté qu'elles avaient entretenu le feu durant les quinze ans, et qu'elles s'habillaient de pagnes en plumes d'oiseaux.
Coquillages. Les survivants se nourrissaient de petits oiseaux et de tortues, «il n'existe plus aujourd'hui d'oiseaux d'aussi petite taille, soit ils ont disparu de l'île, soit les Malgaches mangeaient des très jeunes plus faciles à attraper», explique Thomas Romon, archéologue de l'Inrap (1), membre de l'équipe, qui travaille en Guadeloupe habituellement, et connaît la période coloniale. S'y ajoutent quelques coquillages et très peu de poissons car il était trop difficile de pêcher dans cette mer.
L'expédition de l'automne dernier a été un peu frustrante pour les chercheurs qui espéraient trouver les sépultures des esclaves morts durant les quinze années. «Nous y retournerons avec un matériel plus adapté à cette recherche, notamment des petites foreuses, et je pense que nous les trouverons», note Thomas Romon. Une autre expédition est prévue pour 2008.
(1) Institut national de recherches archéologiques préventives.
Par Sylvie BRIET
Libellés : Liberation
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